Ces phrases qui m’obsèdent et m’enferment
« Il est assis à son bureau dans la pièce du premier étage qu’il désigne parfois comme son bureau, son cogitorium ou son trou. Stylo en main, il est engagé à mi-chemin dans une phase du troisième chapItre de sa monographie sur les pseudonymes de Kierkegaard quand il lui apparait que le livre qu’il a besoin de citer se trouve en bas au salon, où il l’a laissé avant de monter se coucher la veille. En descendant l’escalier pour le récupérer, il lui revient aussi qu’il a promis à sa sœur de l’appeler ce matin à 10 heures, et comme il est presque 10 heures, il décide d’aller à la cuisine passer le coup de fil avant de récupérer le livre au salon. En entrant dans la cuisine, toutefois, il s’arrête net, sous l’effet d’une odeur âcre et pénétrante. Il y a quelque chose qui brûle, se rend-il compte, et tandis qu’il s’approche de la cuisinière, il voit que l’un des brûleurs avant est resté allumé et qu’une flamme basse mais persistante est en train de ronger le fond de la petite casserole en aluminium qu’il a utilisée trois heures plus tôt pour cuire les deux œufs à la coque qu’il prend au petit déjeuner. Il éteint le brûleur puis, sans réfléchir, c’est-à-dire sans se donner la peine d’attraper une manique ou un torchon, il enlève de la gazinière le cuiseur à œufs ravagé encore fumant et se brûle la main. »
Depuis une dizaine de jours, je lis et relis ces phrases qui m’obsèdent et m’enferment. Dans cet incipit du dernier roman de Paul Auster, je retrouve Kierkegaard et cette forme de description dont je me dis qu’elle correspond en tout point à celle qui me hantait lorsque j’avais vingt ans. Après Antonio Tabucchi, Paul Auster est, je crois, l’écrivain qui va le plus me manquer. Alors que j’écris, je me souviens que je m’étais fait cette réflexion à la mort de Moravia.
Vous est-il arrivé de vous faire ce type de réflexion ?
Actuellement, je poste chaque semaine sur Linkedin.
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