De l'autre côté de la réalité agitée de la ville, à côté du marché des gitans, au cimetière dos Prazeres, Tadeus nous accueille dans sa demeure. Avec lui, nous écoutons les confidences du narrateur. Il a perdu son surmoi. Je l'avais déjà entendu évoquer le troc de son âme contre un inconscient. Tadeus refuse de parler d’autre chose que de littérature : ça fait plus distingué. Mais le narrateur poursuit, il a attrapé le virus de l’inconscient. Une pendule sonne, je pense à Cocteau, à son remède contre la page blanche, à son requiem. Enfin, le narrateur et son ami sortent pour le déjeuner.
Nous voici au restaurant. Tout commence avec du pain, du beurre et des olives. Un Reguengos de Monsaraz est annoncé et sa robe rubis.
Le sarrabulho arriva dans un grand plat de faïence, des pommes de terre dorées de graisse, et autour les rognons et les tripes. L'ensemble baignait dans une sauce brune qui devait être du vin ou sang cuit. Le narrateur nous confie n'avoir jamais eu le courage de manger ce plat, sa peur de s'intoxiquer, puis le délice, la saveur exquise. Casimira lui explique comment elle a remplacé la purée de maïs par les pommes de terre et qu'elle prépare la recette à vue de nez.
[...] Enfin, il faut du filet de porc, de la graisse, du saindoux, du foie de porc, des tripes, un bol de sang cuit, une tête d'ail, un verre de vin blanc, un oignon, de l'huile d'olive, du sel, du poivre, du cumin. Il faut préparer la viande dès la veille ; vous coupez le filet de porc en morceaux réguliers, vous assaisonnez avec des gousses d'ail haché, du vin, du sel, du poivre et du cumin. Le lendemain vous aurez une viande savoureuse ; alors vous prenez une terrine et vous coupez en morceaux la crépine, c'est comme ça qu'on appelle la graisse qui entoure les tripes, vous la faites fondre à feu doux, puis vous faites dorer les rognons au saindoux à feu vif, et vous laissez cuire à petit feu. Quand la viande est presque à point, vous l'arrosez avec le jus où elle a mariné la veille, et vous laissez réduire. Pendant ce temps-là, vous coupez le foie et les tripes, vous les faites revenir dans le saindoux pour qu'ils soient bien dorés. À part, vous hachez votre oignon, vous le mouillez d'huile, et vous ajoutez le bol de sang cuit. Alors vous mélangez le tout dans la terrine et votre sarrabulho sera prêt ; vous rajoutez du cumin si ça vous dit, et vous servez avec des pommes de terre, de la purée de maïs ou du riz.
Suivent des pâtisseries de couleur jaune, en forme de petits bateaux.
Ce sont des papos de banjo de Mirandela, des jaunes d'œuf, du sucre et de la confiture.
Et l'ami Tadeus explique que tous les médicaments de l’âme sont des cochonneries : l’âme ça se soigne avec le ventre. Après un tel repas, il est bon de se reposer une heure ou deux. L'ami du narrateur lui conseille la pension Isadora. Le narrateur ne profite pas des charmes de la jeune femme qui frappe à la porte de la chambre et je me demande si son prénom Viriata ne serait pas un clin d’œil à l’Estado Novo de Salazar, à ces générations d’enfants enrôlés dans les milices de la jeunesse salazariste.
Je ne sais pas vous, je partage le point de vue de Tadeus au sujet des médicaments, cette idée que l'âme se soigne avec le ventre. Je ne connais pas ce plat, les connaisseurs apprécieront la recette. Je regrette souvent que nous ne soyons pas plus nombreux à penser comme Variata, qui remercie le narrateur pour sa gentillesse, le plus cadeau que l’on puisse faire à quelqu’un qu’on ne connaît pas.
Partage de ma lecture de Requiem, un roman d'Antonio Tabucchi, Photo, Wix.com
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