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Un livre

Les cahiers de Malte Laurids Brigge







Dimanche dernier, j’étais à Aix-en-Provence et vers onze heures, je quittai l’exposition de l’Hôtel de Caumont. Noyée dans le troupeau matinal des visiteurs, je venais d’admirer quelques œuvres issues de la Fondation Mucha.


Je pensai alors qu’il était trop tard pour aller chiner sur le marché aux livres et je décidai de flâner en ville. Mes pas me conduisirent pourtant vers la halle aux grains. C’est comme cela que je peux lire ce petit bijou. J’ai même la chance de disposer d’un exemplaire ancien. Il ne s’agit pas d’un ouvrage de collection, je peux le feuilleter dans tous les sens, et découvrir ce texte sur des pages de couleur jaune s’avère très reposant.


Aujourd'hui, j'ai envie de partager ce passage avec vous.


Rainer Maria Rilke, Bibliothèque Nationale.


Je suis assis et je lis un poète. Il y a beaucoup de gens dans la salle, mais on ne les sent pas. Ils sont dans les livres. Quelquefois ils bougent entre les feuillets, comme des hommes qui dorment, et se retournent entre deux rêves. Ah ! qu’il fait bon être parmi des hommes qui lisent. Pourquoi ne sont-ils pas toujours ainsi ? Vous pouvez aller à l’un et le frôler : il ne sentira rien. Vous pouvez heurter votre voisin en vous levant et si vous vous excusez, il fait un signe de tête du côté d’où vient votre voix, son visage se tourne vers vous et ne vous voit pas, et ses cheveux sont pareils aux cheveux d’un homme endormi. Que c’est bon ! Et je suis assis et j’ai un poète. Quel destin ! Ils sont peut-être trois cents dans cette salle, qui lisent à présent ; mais il est impossible que chacun d’entre eux ait un poète. (Dieu sait ce qu’ils peuvent bien lire !) Il n’existe d’ailleurs pas trois cents poètes. Mais voyez mon destin : Moi, peut-être le plus misérable de ces liseurs, moi, un étranger, j’ai un poète.



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